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vendredi, janvier 26, 2007

Le Nucléaire - enjeux géopolitique

Proposition de synthèse de la séance de réflexion du jeudi 25 janvier 07, 19h30-21h45. Exposé présenté par Jeanne. Médiateur: Sylvain. Rapporteur: Florent.


L'exposé de Jeanne a permis de faire émerger deux perspectives essentielles sur la question du nucléaire.
1) Une perspective écologique.
  • Le problème posé est le suivant: le nucléaire est présenté comme la seule source d'énergie "propre": pas de rejet de gaz toxiques, haute productivité énergétique (coût le moins élevé en production de kW/h)...
  • Mais Jeanne a signalé que des accidents se produisaient dans les centrales (essentiellement liés à des fuites ou un défaut de gestion des liquides de refroidissement permettant de contrôler les réactions en chaîne qui se produisent dans un réacteur). Ces accidents sont dus à des défaillances techniques ou à la négligence humaine.
  • Il y a par ailleurs la question des déchets radioactifs (combustibles irradiés). Jeanne a donné quelques chiffres utiles à connaître: la France produit dans les 58 réacteurs de son territoire 10 tonnes de plutonium par an ; il sort chaque année de l'usine de retraitement de la Hague 230 millions de déchets radioactifs. Il y a près de 1000 sites d'entreposage sur le territoire français. La Loi Bataille a établi en France les trois possibilités offertes pour la gestion de ces déchets: 1°l' "enfouissement potentiellement définitif", dans des terrains jugés géologiquement stables. C'est la méthode la plus employée. Elle soulève l'opposition des riverains, qui rappellent qu'en la matière le risque zéro n'existe pas. En réalité, la probabilité est très faible qu'une faille ou un plissement intervienne à des endroits qui, géologiquement, sont restés stables depuis cinquante millions d'années, comme l'a rappelé Sylvain. Diane C. a ajouté que les déchets stockés occupent des volumes faibles. Lothaire a mis en évidence le facteur psychologique, essentiel dans les polémiques autour des déchets nucléaires. Depuis Tchernobyl, le nucléaire fait peur. Florent ajoute que l'appellation même de "déchets" donne l'idée d'un territoire devenu un dépotoir national, à une époque où l'économie du tourisme fait de ce territoire un enjeu économique, et une source de concurrence entre les régions (cf. campagnes de publicités !). On le sait, le tourisme est une activité économique où le facteur psychologique est déterminant. 2°l'entreposage, dans des coffrages en acier inoxydable. 3°la "séparation", une technique encore embryonnaire, qui permet de rendre inoffensif les déchets à plus haute radioactivité. Cette dernière méthode est encore en phase d'expérimentation.
  • Conclusion provisoire. Sur la question environnementale, les risques en cas d'accidents comme celui de Tchernobyl sont évidemment considérables. Ils sont également importants en cas d'utilisation de bombes atomiques. Jeanne a décrit les effets de l'"hiver nucléaire", thème exploité dans certaines fictions [lire Malevil (1972), de R. Merle]. Mais Tchernobyl est la seule centrale où un réacteur a implosé. L'énergie nucléaire est plus surveillée encore que les autres, ce qui garantit en partie contre les risques technologiques et humains (Diane C.). Cependant, les effets environnementaux liés au nucléaire ont une spécificité : certes, les déchets enfermés dans les coffrages ou sous le béton et l'argile ne sont pas en contact avec la nature, mais leur durée de radioactivité s'étend sur plusieurs dizaines de millions d'années. Ces zones de mort enfermées dans la terre peuvent constituer une hypothèque sur l'avenir (Florent). Le nucléaire est, cela étant dit, une science en mouvement (Diane C.): on peut espérer en l'homme (Lothaire), et attendre la mise au point d'unne réelle méthode de traitement des déchets radioactifs.

2) Les enjeux géopolitiques.

  • C'est le terrain où "l'on a l'impression que les choses nous échappent" (Serge). C'est aussi le terrain où apparaît le grand problème des rapports entre nucléaire civil et nucélaire militaire - élement qui rend tout à fait spécifique l'usage de l'énergie nucléaire par rapport aux autres sources d'énergie (Florent).
  • Jeanne a rappelé que 5 puissances détenaient officiellement la bombe nucléaire : les Etats-Unis, l'Angleterre, la France, la Russie, et la Chine. Trois la détiennent officieusement: l'Inde, Israël et le Pakistan. Après le traité de non-prolifération (TNP) signé en 1968, les Etats signataires s'engagent à développer une activité nucléaire civile et non pas militaire. L'abandon des recherches en matière de nucléaire militaire pose un problème de concurrence internationale : le moindre retard pris dans les recherches grèverait définitivement la maîtrise de ces technologies, qui se périment très vite (Diane C.).
  • Le problème est en ce moment au coeur de l'actualité avec la question iranienne. L'Iran veut développer un programme nucléaire depuis de nombreuses années. La polémique fait rage sur la scène internationale, qui voit se dessiner deux axes : un axe USA-Israël, opposé au nucléaire iranien ; un axe Syrie-Iran plus ou moins soutenu par la France qui a de longue date des "obligations" à l'égard de l'Iran depuis l'emprunt contracté par Paris auprès du Shah, l'application du programme Eurodif auquel l'Iran devait être associé, le changement de donne après le renversement du Shah et l'arrivée au pouvoir de Khomeyni. L'attitude de la France oscille entre avertissements à Téhéran, et concessions officieuses, comme l'a montré de manière frappante la petite revue de presse par laquelle Jeanne a terminé son exposé. Le sujet divise la classe politique, parfois au sein même des partis. Lors des "primaires" au parti socialiste, L.Fabius et S. Royal se sont opposés sur cette question, Fabius défendant l'idée d'un nucléaire civil iranien, Royal s'y déclarant fermement opposée. Ces questions recoupent bien sûr des enjeux électoraux puissants, comme l'a rappelé Daniel : notamment autour des réactions supposées de la communauté juive pro-israëlienne en France.
  • En réalité, la question du nucléaire fait apparaître le caractère stratégique du savoir technologique. Les ressources sont faciles à exploiter, les technologies difficiles à maîtriser, et en constante évolution. Cela fait des savants détenteurs de ce savoir des pièces maîtresses dans l'échiquier international. Ce rôle stratégique de la communauté scientifique internationale a été mis récemment en lumière sur une autre question militaire - celle de la guerre bactériologique. Il apparaît comme presque certain que les envois de poudre d'anthrax sous enveloppes à des personnalités américaines, qui avaient créé une véritable psychose collective après les attentats du 11 septembre, étaient le fait d'un scientifique américain travaillant au Pentagone, et associé à tous les dossiers sensibles, mais qui se serait estimé mal reconnu - et mal rétribué (cf. dossier de septembre 2006 du Monde2).
  • Au bout du compte, il apparaît difficile de priver des Etats d'une source d'énergie propre et productive, à l'heure où les ressources pétrolières font l'objet de chantages internationaux (notamment en Russie, comme l'a rappelé Daniel), ou de situations politiques instables (Venezuela de Chavez - cf. Rapport de la CIA sur le monde en 2020, pocket, 2006). D'un autre côté, Tchernobyl a fait apparaître un élément crucial du dossier, au-delà des risques écologiques: c'est que le nucléaire nécessite des investissements financiers considérables, que ne peuvent peut-être pas prendre en charge de façon durable des économies fragiles ou instables (Florent). Pour quelques précisions concernant l'entretien d'une centrale, voir le commentaire de Lisa ci-dessous.
  • Le problème politique du nucléaire n'est hélas pas seulement lié aux enjeux nationaux, comme l'ont montré les discussions soulevées par Jeanne à partir de la lecture des ouvrages de Dominique Lorentz. Il apparaît ainsi que Jacques Chirac a joué un rôle essentiel dans la négociation nucléaire avec l'Iran afin d'obtenir, dans un but électoraliste, la libération des orages français au Liban en 1986. Serge a posé le problème en termes moraux, en disant que deux perspectives pouvaient être adoptées en politique : l'une, calculatrice, celle d' "une guerre" (titre du premier ouvrage de D. Lorentz), qui commence par un comportement mafieux au sein même d'un pays (on veut le pouvoir, pour l'argent et la conservation du pouvoir) ; l'autre, qui croit en l'homme - en l'autre face de l'homme -, et qui peut se jouer au grand jour, ne pas user du secret. C'est le secret qui a marqué les développements de l'affaire du nucléaire iranien. C'est en secret que la France a vendu à Saddam un réacteur nucléaire, rasé par les Israëliens. La figure de l'abbé Pierre a été évoquée par Serge comme emblématique de cette seconde vision de l'homme, sans illusion, mais sans renoncement.

LE DEBAT EST OUVERT!

A l'unanimité, un GRAND MERCI à Jeanne pour son exposé, clair et ouvert!

3 commentaires:

Unknown a dit…

Juste à propos de la durée de vie d'un réacteur nucléaire, qui n'est pas de dix ans.
Il faut différentier la centrale, les réacteurs (une centrales compte plusieurs "tranches" autonomes), et enfin le combustible. En ce qui concerne le nucléaire français (la gestion d'EDF) :

On recharge un réacteur un peu moins d'une fois par an, cette opération de quelques semaines est l'occasion d'une révision.

Tous les dix ans, une tranche complète est inspectée en détails (y compris circuits primaires et secondaires).

Il faut noter que dans chacun de ces cas, la centrale elle-même n'est jamais arrêtée, les autres tranches continuent à fonctionner.

La durée de vie d'un réacteur n'est pas clairement définie (selon l'état constaté lors des visites annuelles), en tous cas au moins 30 ou 40 ans.
Je crois que toutes les centrales contruites en France depuis les années 70 fonctionnent encore. Les seuls démantèlements concernent des sites expérimentaux.

Tout ça pour dire qu'il s'agit bien d'un investissement sur le long terme, mais avec en effet un suivi lourd.

Unknown a dit…

Quelques petites précisions.
Effectivement, un réacteur vit plus que dix ans : merci pour la rectification !
sinon : les centrales françaises produisent chaque année 10 tonnes de plutonium tandis que LA Hague rejette dans la mer 230 millions de déchets radioactifs (leur puissance n'est pas précisée).
Tchernobyl : le coeur du réacteur s'est mis en fusion, et la chaleur exceptionnelle qui s'est dégagée à permis à la vapeur de soulever le couvercle du caisson (1000 tonnes).
Les 5 puissances qui détiennent officiellement la bombe : USA, ANgleterre, Russie, CHine, France.
3 la détiennent officieusement : Inde, Pakistan, Israël.

jordan a dit…

bonjour,
je viens de découvrir ce blog suite à une recherche sur le nucléaire.
je n'ai pas trouvé de rubrique "remerciement" alors je vous le laisse sur cette page.

merci

outre le fait qu'avec ce débat concernant les enjeux géopolitiques du nucléaire, vous m'avez beaucoup aidé dans ma recherche. Vous avez créé là un site complet et riche en informations sur de nombreux domaines, tant scientifiques que spirituels (j'aime beaucoup celui sur la peur) avec une démarche altruiste.
c'est honorable et courageux de votre part.
je vous souhaite une bonne continuation et je continuerais à lire vos publications.