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samedi, février 10, 2007

La peur aujourd'hui

Qu’est-ce que la peur ?

- Avoir peur, c’est prévoir un danger : quelque chose dont on n’a pas l’expérience, mais dont on se fait une idée désagréable, dont on sait assez de choses pour que cela nous occupe. On en détourne sa pensée autant que possible.

Donc on a peur de ce qu’on connaît et qu’on ne connaît pas à la fois.

- La peur est la présence persistante d’un danger qui prend des dimensions disproportionnées. On ne pense plus qu’à un danger particulier, alors qu’il n’est pas forcément le plus redoutable.

La peur joue donc sur une illusion de savoir pour aller contre la réalité des dangers.

- On a peur aussi à l'approche d'un événement important, si heureux soit-il, parce que c'est le changement qui fait peur ; or il n'y a pas de vie sans changement, donc la peur accompagne forcément la vie.
Ne pourrait-on pas aller jusqu'à dire qu'on a peur de ce que l'on désire ?


De quoi a-t-on peur aujourd’hui ?

- La peur procède par une sorte d’effet de loupe qui grossit un danger, et a la particularité de plus d’être contagieuse.

- Un sondage datant de décembre demandait à des Français, des Anglais, des Allemands, des Américains, des Espagnols et des Italiens de choisir parmi dix problèmes que le monde a à affronter, les deux qui les inquiétaient le plus (guerres, famine, déséquilibre Nord-Sud, mondialisation, surpopulation, réchauffement de la planète, fanatisme religieux, terrorisme, épidémies).
Et « curieusement » (ce n’est pas ce que supposaient les personnes présentes lors de la conférence, qui s’attendaient à ce que ce soit le fanatisme religieux ou l’intégrisme), les Français ont répondu très majoritairement le réchauffement de la planète.

Alors que l’on a l’impression de prendre conscience d’un danger, donc d’acquérir une grande lucidité, on ne fait que répondre mécaniquement à une série de campagnes médiatiques qui se succèdent sans que le problème soit résolu.
A qui profite cette succession de campagnes effrayantes ? Dans quelle mesure est-ce une manipulation voulue ?

- Ce genre de peurs collectives a deux effets :
* éveiller une vigilance qui peut être salutaire.

* donner un sentiment de vulnérabilité, et d’impuissance.

Aujourd’hui, on se préoccupe essentiellement des peurs contre lesquelles on ne peut rien, et qui nous laissent totalement passifs, alors qu’il y a de nombreux dangers contre lesquels on peut agir et sur lesquels notre action peut avoir des effets visibles.

N'a-t-on peur que de l'inéluctable ?


Faut-il entretenir la peur ?

- La peur a une grande efficacité, par le fait même de sa contagion. Cependant, s’imposer par la seule peur n’assure qu’un équilibre fragile, dans la mesure où il faut la réactiver sans cesse, puisqu’elle joue sur l’imminence.

- La peur peut souder ceux qui la ressentent et créer une dynamique collective. C’est ce que les Américains ont éprouvé au lendemain du 11 septembre, l’événement ayant soudé les citoyens et leurs dirigeants dans une même réaction.

- Mais aujourd’hui, il n’y a aucune dimension collective de la peur. Au contraire, au moment où tous les Français vont être consultés pour choisir, en principe, leur président, ils répondent en masse, sur un blog ouvert en développement du sondage cité précédemment, qu’ils sont effrayés les uns de l’élection de Ségolène Royal, les autres de celles de Nicolas Sarkozy. Au lieu de souder, la « peur » - ou ce que l’on désigne ainsi - est le signe d’une séparation avec les dirigeants. Les gens font référence, à travers ce terme, au sentiment de n’avoir aucun poids sur les changements qui pourront intervenir.
Est-ce un abus de langage ou une vision juste des enjeux impliqués dans cette élection ?

Donc si la peur peut avoir un caractère dynamique, ce n’est pas le cas systématiquement.

La peur est-elle donc un moyen de puissance ou le symptôme d’une impuissance ?


Que faire de la peur ?

Il y a trois façons d’appréhender la peur : l’éviter, l’affronter, ou la transformer en l’englobant dans une autre perspective.

- L’éviter : c’est ce que cherche à faire notre société par sa volonté de « sécurité ». Mais au moins une partie de la population manifeste un besoin de peur.

Exemples : les films d’horreur, le jeu du foulard.

En effet, avoir peur signifie de surmonter sa peur, et donc de déployer sa puissance. C’est le principe des rites initiatiques : on a besoin d’accomplir un geste effrayant pour prouver qu’on est un homme. Affronter la peur serait-il donc préférable ?


- L’affronter : la dimension positive de la confrontation avec la peur rencontre un obstacle par le fait que ce n’est plus l’autre que nous redoutons, mais des choses qui viennent de nous-mêmes.

- La transformer en l’englobant dans une dynamique qui lui rende sa vraie place. Le malaise de la peur vient en premier lieu de la disproportion du point de vue qu’elle suscite. Si on corrige cette erreur de perspective et ce grossissement du danger, on peut garder les avantages de la prise de conscience tout en éliminant la manipulation. Cela implique de se renseigner sur ce que l’on craint, et d’en mesurer les implications exactes, et de se demander ce que l’on a vraiment à perdre.

On peut aussi atténuer l’effet paralysant de la peur en agissant sur ce sur quoi on a une influence, en ramenant la peur à l’échelle de nos moyens d’action, pour retrouver une certaine puissance, et retrouver le sens de notre responsabilité.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La peur du désir

Je m'inscrirais dans la perspective ouverte par Diane à la fin de son introduction, sur la question de savoir si l'on a peur de ce que l'on désire. C'est, en effet, mon interprétation. Il faudrait, bien sûr, préciser ce que l'on appelle la peur, et distinguer la réaction de paralysie ou de fuite que l'on adopte face à une agression, de ce sentiment intérieur que l'on éprouve, de manière plus ou moins constante. C'est ce deuxième sentiment qui m'intéresse, les réactions face aux agressions relevant d'une tout autre expérience. C'est d'ailleurs la perspective qui a retenu l'attention de Diane. Ce qui me frappe, c'est que derrière les grands sujets de peur évoqués par Diane dans son exposé - notamment à partir de cette enquête internationale -, les sujets de peur pouvaient tous s'inverser en un désir non assumé.
- Ainsi la peur du réchauffement de la planète me paraît être le négatif (exactement comme l'on parle de négatif en photographie) du désir de maîtriser la nature qui peut habiter l'homme. Mine de rien, avoir le sentiment d'être pour quelque chose dans la fonte des glaciers, dans la température régnant sur notre globe, c'est voir satisfaite une bien ancienne volonté de puissance. Mais si ce désir éveillait en nous un sentiment de culpabilité? De même que les plus vieilles religions du monde ont toujours défini des espaces naturels où s'exprimait la puissance des dieux, et qui représentaient des territoires interdits pour l'activité humaine? C'est encore ce qui explique qu'aujourd'hui, en dépit de concentrations de population excessives dans les zones habitées, de vastes régions montagneuses demeurent encore inoccupées aujourd'hui au Japon...

- Si l'on considère à présent l'intégrisme religieux, on peut là encore trouver un désir de religion profondément ancré dans l'homme (et qui peut découler en partie de ce désir de maîtriser le monde dont nous venons de parler). Là encore, l'homme aspirant à ce que Malraux appelait un englobant, c'est-à-dire une interprétation du monde qui saisissent la totalité des phénomènes et des expériences vécues, et qui donne la certitude d'être dans son droit, peut conduire les hommes à redouter que cette volonté englobante devienne universelle - c'est-à-dire voit se mettre en place une véritable cacophonie religieuse. La peur de l'intégrisme religieux serait, selon cette hypothèse, un désir de religion non assumé.

- En ce qui concerne le terrorisme, je ne peux que renvoyer aux analyses de Jean Baudrillard (dans Le Pacte de lucidité ou la transparence du Mal, et dans Qu'est-ce que le terrorisme ?). Avec une prodigieuse audace théorique, Jean Baudrillard analyse le phénomène terroriste comme le désir profond dans nos civilisations du "Bien" de sécréter autre chose, le revers du bien, un sentiment de vie, la possibilité d'une "histoire", où se produiraient à nouveau des "événements", où l'on retrouverait un dualisme réconfortant, qui sorte de cette Bien-pensance asphyxiante...

- C'est d'ailleurs le même phénomène qui se manifeste dans les peurs primales - que Diane a écartées de son exposé, mais dont elle a précisé qu'elles n'étaient pas sans rapport avec les grandes. Ainsi, le vertige est analysé comme le désir de sauter, cette possibilité qu'un homme découvre de toute-puissance sur sa propre vie. Cette fois, c'est Sartre qu'il faut relire, dans les très belles pages sur le vertige dans L'Etre et le Néant...

Cette perspective sur la peur (dans sa dimension intérieure et collective, car c'est justement au coeur de son intimité qu'un homme rejoint tous les autres hommes en animal politique) est exactement celle que nous révèlent les films violents que nous ont fait découvrir nos cinéphiles lors de la séance de Cinéma en novembre dernier. La peur apparaît comme un moteur esthétique, dans la mesure où elle répond à un désir. Le début de Funny games de Mickael Hanecke, montre une famille corsetée dans un comportement élitiste et glacé, où les rapports humains sont codifiés dans des petits jeux pervers, qui affirment les dominations des uns sur les autres. On arrive dans une grande villa isolée, au milieu d'un parc immense entouré de mur, loin des autres très grandes villas dans leurs grands parcs, avec leurs hauts murs. Seul le chien est l'élément de vie dans ce décor, va et vient à sa guise, fourre son gros naseau partout, et d'ailleurs immanquablement fait rire le spectateur. L'arrivée des deux jeunes gens qui vont accomplir leur besogne destructrice sur cette petite famille de la moyenne bourgeoisie intellectuelle satisfait en nous un désir inavoué de violence. Le schéma est du reste moral jusqu'au bout, puisque la famille pourra de son isolement dans cet environnement fortuné et individualiste, où personne ne pourra voler à leur secours...